En 1925, Léon Denis, collaborateur de son beau-frère Théophile Tridon à la célèbre librairie moderne du même nom, rue Nationale, crée une librairie ancienne à Tours.
La librairie Tridon, véritable salon littéraire voit passer régulièrement Anatole France, Georges Courteline, plus tard Henri Bergson. De nombreux écrivains tourangeaux en sont les habitués ou correspondent avec Théophile Tridon, dont René Boylesve, Maurice Bedel, René Benjamin... Anatole France dit un jour à Léon Denis : “ Denis, la librairie moderne, c’est de l’épicerie !... Faites du livre ancien ! ...” Propos curieux dans la bouche d’un auteur de librairie moderne adulé à son époque, mais cri du cœur d’un grand bibliophile !
Léon Denis installe d’abord sa librairie 17 rue du Président Merville dans le quartier des Halles, puis en 1933 au 50 rue de la Scellerie, célèbre rue “des antiquaires” de Tours et rue d’importants imprimeurs-libraires comme Jean Ricard et Pierre Régnard, Mathieu Chercellé, Jean et Cézar Richard, Jean Rousset, Martin Siflant, Jehan du Liège, Michel Duval, Lhéritier, Louis Péricat et alii, du XVIe au XXe siècle. C’est d’ailleurs dans cette rue que Balzac enfant sera élève de la pension Le Guay au début du XIXe siècle.
Il s’impose rapidement comme un excellent libraire-expert de livres anciens, gravures et autographes, publiant de nombreux catalogues bimensuels avant la guerre. Il organise régulièrement des ventes aux enchères de livres et documents anciens et achète, vend, expertise, renseigne patiemment et avec courtoisie de nombreux clients en Touraine et au dehors. Il entretient une relation active et suivie avec de très nombreux érudits locaux comme Horace Hennion, Conservateur du Musée des Beaux-arts de Tours, Georges Colon, Conservateur de la Bibliothèque Municipale de Tours, le Chanoine Guignard, Président de la Société Archéologique de Touraine, etc. Après 1940, il aidera à la reconstitution des deux bibliothèques sinistrées, puis, à partir de 1956, à la création de la bibliothèque du Centre d’études supérieures de la Renaissance, avec notamment le directeur, Pierre Mesnard, dont il est l’ami.
Il se charge également en tant qu’expert, des partages et successions de nombreuses propriétés tourangelles et découvre parfois des documents de premier ordre, telles les épreuves rarissimes corrigées de la main de Balzac de “La Chine et les Chinois”, qu’il cède au futur musée Balzac à Saché. Parmi ses nombreux clients bibliophiles, il compte le célèbre pharmacien Chavaillon à qui il vend livres d’heures, incunables et livres rares.
Affilié au Syndicat de la Libraire Ancienne et Moderne (SLAM), sa réputation s’étend au-delà de la Touraine et de la France. Après la guerre, il fait partie des principaux experts francophones en livres anciens, comme en témoigne Le Guide du bibliophile et du libraire.
Le 15 Juin 1944, suite au débarquement anglo-américain, la ville de Tours est pilonnée alors qu’elle avait été déjà gravement meurtrie en 1940 ; plusieurs bombes visant le Pont de pierre situé à plusieurs centaines de mètres, s’écrasent rue de la Scellerie dans sa partie encore intacte, et pulvérisent la devanture de la librairie.
Dans les années 1950-60, Léon Denis, atteint d’une grave maladie, doit restreindre ses activités ; cependant il continue de publier régulièrement des catalogues et reste en relation avec les principaux libraires parisiens. Il se repose, médite et travaille régulièrement en famille à la Tesserie à Cravant-les Coteaux, charmante gentilhommière au pays de Rabelais, achetée en ruine, restaurée avec goût, restituant scrupuleusement un mobilier d’époque Renaissance et Louis XIII…
A son décès en 1963, son épouse Yvonne et sa fille Marie-Thérèse reprennent la librairie et continuent d’y accueillir chaleureusement de nombreux érudits et visiteurs français et étrangers.
En 1972, abandonnant un peu à regret ses fonctions de professeur de Français, Latin, Grec qu’elle avait occupées successivement à l’Institution Saint-Martin et aux lycées Choiseul, Balzac et Descartes à Tours, Mademoiselle Marie-Thérèse Denis se consacre totalement à la librairie. Perpétuant la tradition humaniste, littéraire et historique tourangelle, pendant près d’un demi-siècle elle devient vite une référence en Touraine et en France et jusqu’à l’étranger où elle est connue des bibliophiles passant par la “ Loire Valley”. Grâce à des prix très divers, elle offre le choix le plus large possible au plus grand nombre, y compris en gravures et documents anciens, avec une préférence pour l’Histoire et la Littérature classique.
Devant son bureau surchargé se succèdent bibliophiles, élus, chercheurs, écrivains, professeurs, amateurs ou amis et étudiants. Un grand nombre de ces derniers qu’elle est particulièrement heureuse de rencontrer, lui rappelle l’enseignement et sa prédilection pour la transmission du savoir ; ils apprécient de venir discuter longuement et lui prêter main forte pour le classement des innombrables ouvrages ou ... l’emballage des paquets !
Les passages des clients dans la librairie et l’accueil de Mademoiselle Denis, atypique et directe, comme elle le reconnait elle-même, restent inoubliables : à travers des propos interminables ou brefs, érudits et chuchotés, enflammés et sonores voire pittoresques, elle laisse transparaître sa passion pour son métier, comme au cours de nombreux entretiens relatés par la presse locale.
En 2008, tout en continuant à venir humer l’odeur des vieux livres à la librairie au moins une fois par semaine, Mademoiselle Denis a passé le flambeau à Pierre Duchemin, expert en livres anciens à l’hôtel des ventes Giraudeau à Tours, plus tard à l’Hôtel Drouot à Paris et à Genève, et son collaborateur depuis 10 ans. Ce dernier est client de la Librairie depuis l’âge de douze ans, à la suite de ses grands-oncles Mgr Sadoux, historien et recteur de la basilique Saint-Martin, et Edmond Bigeard, pharmacien rue Nationale, amis de Léon Denis et clients de la première heure. Mademoiselle Denis est décédée le 21 novembre 2012.
Grâce à une troisième “génération”, qui a donc débuté en 2008, la Librairie atteindra bientôt cent ans d’activité : tout en conservant l’esprit de ses devanciers et grâce à de nouveaux supports numériques, complémentaires de l’écriture et de la pensée, elle veut convaincre de l’importance et de la richesse des livres et documents anciens pour la Culture et la Mémoire en ce début du XXIe siècle, notamment par la publication de plusieurs catalogues par an, un site internet et la participation à plusieurs salons annuels, dont celui du livre rare à Paris au Grand-Palais.